Curieux hasard : au moment où s’élaborait l’Académie des Diseurs de La Réunion à la terrasse d’une buvette de Saint-Denis, l’un des discoureurs les plus réputés des varangues créoles s’éteignait doucement du côté de la Ressource. Dans ses derniers soupirs, ce héraut de La Réunion à l’envers léguait son verbe et son causement pour nous permettre de raconter son passage sur ces terres des Mascareignes de plus en plus inhospitalières pour le dénonciateur du conglomérat de vanités, de petitesses et de combines qui régentent actuellement l’ex-île Bourbon et qu’il dénonçait à tue-tête à qui voulait bien l’entendre.
Voici donc quelques éléments du dossier à décharge destiné à éclairer le jugement de l’Histoire sur Doss Varanasi, Youssef Y. A. Bradrauddin, A. Boyer, François Dupont et Sherazade, autant de pseudonymes qui cachaient la prose pimentée et colorée de Jacob Anatole Joseph né Varondin.
Notre pamphlétaire pays a vu le jour le 23 mars 1933 à Sainte-Marie, de Jean-Baptiste Varondin (notable de Sainte-Marie et l’un des pionniers de l’industrie sucrière) et d’Eugénie née Daleau. Son apprentissage de la lecture et de l’écriture s’est déroulé à l’Orphelinat de la Ressource à Sainte-Marie, enrichi par le lycée Leconte-de-Lisle à Saint-Denis, jusqu’aubaccalauréat de lettres et de philosophie, suivi par des études supérieures à Strasbourg, Nice et Londres. Il pouvait ainsi afficher une licence d’anglais et de lettres, un diplôme de la British Chamber of Commerc de l’Organisation International du travail, et du Collège libre des Sciences sociales et économiques de Paris.
Son parcours professionnel se confond le plus souvent avec son engagement politique. Après quelques missions au Maroc, en Côte d’Ivoire et à Madagascar comme auxiliaire de l’enseignement, il a été, semble-t-il, radié de l’Education nationale pour avoir participé à des manifestations anti-coloniales en métropole.
Un an plus tard, il a rebondi comme fondateur et directeur des Cours Varondin rue Jules-Auber à Saint-Denis de La Réunion, une « boîte à bachot ». Puis, c’est sa réintégration dans l’administration, en free lance, comme maître-auxiliaire. Quelques années plus tard, le voilà changeant d’institution pour endosser la fonction de membre du cabinet du maire de Sainte-Marie, Axel Kichenin, chargé des affaires sociales... Une autre école de sa vie.
La politique a été sa seconde nature. Autonomiste, il a été cofondateur du Parti Socialiste à La Réunion, mais démissionnaire presqu’aussitôt lorsque la fédération locale de ce parti renoncera à son mot d’ordre d’autonomie de l’île. Il aurait pu se prévaloir du titre de « père de la Nasyon Reyoné » en élaborant un jour le « drapeau réunioné », mais c’était sans compter sur un vilain coucou, polytechnicien de formation, qui s’est accaparé du morceau de tissu pour toucher les deniers de son hold-up culturel.
Les candidatures de Jo à des élections ne se comptent pas. Il a notamment accompagné Pierre Vidot aux élections municipales de Saint-Denis en 1977 sous l’étiquette du GAM, le Groupe d’action municipal, un bidule sorti du chapeau de Paul Hoarau. Secrétaire général du MRG, Mouvement des radicaux de gauche deux ans plus tard, il a « marronné » un moment en Corse en entretenant des contacts suivis avec le Dr Edmond Siméoni, autonomiste, leader de l’Union du Peuple Corse (1979). Son nouveau combat d’alors : réclamer une « France, république fédérale » et une « Réunion, pays français autonome ».
Dans cette mouvance, il a pris position pour l’indépendance de La Réunion dans une lettre adressée au sous-comité de libération de l’OUA, Organisation de l’unité africaine. C’était en 1981. Tête pensante du noyau autonomiste de La Réunion ces dernières années, fourvoyeur de la Kart Lidentité Lareunion, il s’est également porté candidat sur la liste « Nasyon Reyone pour l’autonomie » en 1998, 2004 et 2010, avant que ces tigres de papier mâché zotonomistes s’entre-déchirent.
Auteur de plusieurs ouvrages souvent fabriqués d’une façon artisanale et toujours vendus plus ou moins clandestinement, citons « Bibi in London » (1955), récit autobiographique. « Les très riches heures de Delvine et Mohan », recueil de poèmes. « Les lambrequins de la honte », 2 tomes (1991 et 1997), fustigeant à la fois les Réunionnais départementalistes et les Zoreils « maîtropolitains ». Un troisième tome de cette série est paru imprimé à l’île Maurice et diffusé à La Réunion en 2009 « sous le manteau », tout comme L’Holocauste, la dernière claque qu’il a administrée à L’Establishment.
Enfin, il ne serait pas convenable de ne pas citer le Club de la Varangue créé par notre diseur en 1996 et relancé ces dernières années autour de caris bien arrosés et dans un tohu-bohu indescriptible lorsque le maître souhaitait prendre la parole. Le « Club de la Varangue », c’était son fan club, où Dominique, Frédéric, Daniel, Philippe, Paul et les dizaines d’autres fous de la diagonale du politiquement incorrect tentaient de refaire le monde une fois par trimestre dans les hauts de Sainte-Marie.
Cher Jo, dans ta nouvelle varangue, tous les joyeux drilles de ta bande désormais orpheline implorent ton indulgence pour les années qu’il leur reste à vivre. Dans une société où l’intelligence, le bon sens et l’honnêteté ne valent plus un pet de lapin, ils vont tenter d’entretenir ton souvenir et de relayer ton intarissable don de la formule. C’est promis !
Source : http://www.lequotidien.re/opinion/le-courrier-des-lecteurs/272741-joseph-varondin-nous-tire-sa-reverence.html
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